Friday 23 December 2011

Revue de presse

Si vous remplacez "Automobile" par "vin" et "Allemands" par "Italiens/Espagnols", cela résume assez bien tout ce que j'ai écrit par le passé:

J'en profite aussi pour souhaiter un très joyeux Noël aux lecteurs de ce blog.  En espérant que vous aurez des chouettes repas et des bons vins pendant vos fêtes.

Tuesday 20 December 2011

Soufre-douleur

C'est marrant de voir comment notre perception du soufre (ou plutôt des sulfites) a évolué ces dernières années. Quand j'ai commencé à bosser dans le vin, c'est à dire il y a peu ou prou 10 ans, on était en pleine vogue du "zéro soufre".  Des vignerons (en particulier en Beaujolais) ce sont faits les apôtres d'une viticulture libérée du carcan de l'utilisation du soufre et ont allègrement embouteillé des millésimes entiers ou des cuvées sans ajout de soufre.  Il y avait d'ailleurs de nombreux relais à Paris ou ailleurs de cette pratique, cavistes, sommeliers et autres journalistes  Avec mon boss à l'époque, on les appelait les "SS" (pour sans-soufre, mais avec la connotation fascisante pour bien exprimer combien ces personnes étaient intransigeantes).  

Je me souviens aussi de nombreuses personnes me disant qu'elles étaient hyper-sensibles au soufre, voire allergiques, et que de boire des vins "soufrés" leur donnait des maux de crâne pas possibles, des palpitations voire pire.  Il y a effectivement des personnes allergiques au soufre, mais dans ce cas le soufre est urticant, mais pas source de tous ces autres maux supposés.  J'ai l'impression qu'ils avaient tendance à somatiser un peu.  En attendant, je n'ai jamais tenté l'expérience de leur servir des vins avec des niveaux de soufre raisonnables et de leur dire qu'ils étaient sans soufre, pour voir comment ils réagiraient.  Comme l'epxérience sur les réactions des gens à la cafféine: il y a beaucoup de gens qui affirment qu'ils ont besoin de cafféine pour être bien réveillées.  Pourtant, si on remplace leur café habituel par du décaf à leur insu, ils ont l'impression d'être aussi réveillés.  Le tout c'est d'y croire!

Le problème du sans-soufre, c'est que cela rend le vin ultra-vulnérable: un changement de température trop brutal et c'est la panique: les bouteilles tournent rapidement, repartent en fermentation, voire pire.  Donc, le vin sans soufre, c'est très bien chez le vigneron, mais dès que ça sort de sa cave, plus rien n'est sûr.  Je me souviens de Kermit Lynch, le grand importateur Californien, me racontant qu'au début des expériences de Marcel Lapierre et compères sur les vins zéro soufre, il se retrouvait avec entre un quart et un tiers des bouteilles foutues à l'arrivée.  Il a donc été le premier à insister pour que ses vignerons mettent au moins un tout petit peu de soufre dans leurs vins pour les stabiliser.  

Car c'est là tout l'intérêt du soufre: de stabiliser le vin, d'empêcher des développements de levures ou bactéries néfastes.  Si il n'y a pas de date de péremption sur une bouteille de vin, elle peut facilement tourner si elle n'est pas protégée au minimum.  Le tout est donc d'utiliser le soufre avec parcimonie.  On voit très rarement aujourd'hui des vins qui sont super-soufrés (je parle des vins de qualité) et je ne connais pas de nez assez sensible pour détecter des niveaux faibles de soufre dans un vin.  Ce n'est pas une question de goût donc.  Plutôt une quesiton de principe, une sorte de principe de précaution, qui voudrait que le soufre soit mauvais pour l'organisme et qu'il faille l'éviter, en tout cas à fortes doses.  Soit, mais en attendant, aucun label, qu'il soit bio, biodynamique ou autre, n'interdit l'utilisation du soufre et aucun vigneron raisonnable ne refusera catégoriquement d'utiliser le soufre.  Autant dire que le soufre est une nécessité. 

Cela étant, bien entendu, le tout est d'en utiliser au bon moment et le moins possible.  Pour cela, je suis assez content qu'on soit revenus de l'époque des SS et autres moudjahidines du zéro soufre.

Monday 19 December 2011

Christine Vernay et Thierry Germain @ Alfa International, 15 décembre 2011

Visite apparemment annuelle de deux compères, l'une du Nord Rhône, l'autre d'Anjou.  Les deux domaines sont ultra-connus en France et commencent à se faire une petite place ici.  Je connais bien les deux pour avoir goûté de nombreuses fois leurs vins, même si j'avoue que cela faisait quelques années que je n'avais pas goûté de façon systématique l'ensemble (ou presque) de leur production.  En particulier, pour le Domaine Vernay, la dernière fois que j'en avais goûté, Christine venait tout juste de reprendre le domaine de son père, Georges.  

Pour Vernay, on a goûté le Condrieu Terrasses de l'Empire 2008, pas de Coteau du Vernon, ni de Chaillées de l'Enfer :-( , et la syrah en VDP de Collines Rhodaniennes.  Donc pas de Côte-Rôtie non plus, re- :-(.  

Pour Thierry Germain, on a goûté l'Insolite en blanc, la Marginale et les Terres Chaudes en rouge.  

Pour ce qui est de Vernay, je n'ai pas vu d'évolution stylistique notable depuis la dernière fois que j'ai goûté: le Condrieu était floral, beurré mais sans excès, la Syrah, très "varietally-correct", ça sentait la syrah bien poivrée et puis c'est tout.   Pour Thierry Germain, j'ai remarqué une amélioration sensible depuis ma dernière dégustation: les vins ont gagné en fraîcheur, en minéralité et en complexité, sans toutefois atteindre les niveaux de gourmandise et de suavité de mes Saumur(-Champigny) préférés.  Thierry Germain attribue cela a des progrès significatifs en termes de viticulture.  C'est assez intéressant de voir un Bordelais de souche, bien dans sa chemise bleu ciel, son jean Diesel et ses mocassins Tod's vous parler de biodynamie avec l'oeil qui pétille.  En tout cas, le travail se ressent dans la bouteille, bravo!

A noter, deux trois choses à propos de cette dégustation.  Primo, comme je le disais, ce n'est pas la première fois que Christine et Thierry voyagent et viennent à Singapour.  Et pourtant, devant un auditoire anglophone, la présentation de Christine Vernay a commencé avec "Hélo, I âme euh vigneron from zeuh Nord-Rhône.  I make zeuh Condrieu, zeuh St Joseph ande zeuh Côte Rôtie...."  Devant ses difficultés à s'exprimer en Anglais, je me suis senti obligé de lui proposer mes services de traduction (facture à suivre), et je me suis retrouvé à faire la traduction pour toute la dégustation.  Thierry Germain a aussi fait appel à mes services, même si son niveau de langue est acceptable.  L'avantage est que j'ai pu retransmettre les infos de façon synthétique à mes interlocuteurs, en ajoutant deux-trois petites choses à ma sauce.Cela étant, si j'étais un examinateur de l'oral d'Anglais au Bac, je donnerai un 2/20 à Christine Vernay et un 10/20 à Thierry Germain, pour l'effort.  Vous m'avez déjà vu fustiger le manque de qualités commerciales des vignerons français dans ce blog, en voici encore un exemple navrant. Ce n'est quand même pas dur d'apprendre à dire cépage, vendange, coteau, argilo-calcaire, levure et foudre en Anglais, si???

Autre petite chose attrapée au vol, Christine Vernay m'a soutenu qu'il lui était impossible de pratiquer une viticulture bio, parce que ses vignobles sont sur des coteaux trop escarpés.  C'est la première fois qu'on me la sort, celle-là!  Je pensais au contraire que la pente permettait un meilleur drainage des sols et une meilleure circulation de l'air, évitant donc "naturellement" de nombreuses maladie de la vigne.  Et surtout, je ne vois pas en quoi une viticulture "conventionnelle" serait plus facile à pratiquer sur ces mêmes coteaux, à moins de traiter à l'aide d'un canadair...  Bref, je ne fais pas vraiment le lien entre coteau escarpé = impossibilité de conduire un vignoble en bio ou en biodynamie, question à étudier donc.

Et pour finir, encore une de mes magnifiques photos in situ:


Thursday 15 December 2011

Revue littéraire

Oui, je sais, ça fait un bail que je n'ai rien posté sur ce blog, désolé pour ceux qui attendaient impatiemment la suite de l'aventure.  Gros mois de boulot, je respire un peu maintenant.  Bref, entre temps, j'ai quand même eu le temps de lire quelques BDs.  Entre autres, "Les Ignorants"* d'Etienne Davodeau.  Selon ma femme, on avait déjà lus une ou deux BDs du même auteur, mais je n'en ai absolument aucun souvenir, donc, tant pis pour la mise en abîme de l'oeuvre...

Bon, passons sur le fait que le bouquin démarre assez péniblement, ça ressemble plus à une sorte de démonstration forcée et à un ramassis de caricatures.  Mais au passage, Davodeau arrive quand même à avoir quelques réflexions intéressantes sur le vin et la viticulture et fait un tour d'horizon sympa de la BD française contemporaine.  On dira qu'il s'agit d'une bonne oeuvre de vulgarisation.  Le genre de choses qu'on entend dire Richard Leroy, le vigneron qui sert de guide à Davodeau dans la BD, enfoncent parfois un peu des portes ouvertes, du moins pour ceux qui s'intéressent un peu au vin contemporain, mais au moins ça a le mérite d'être mis sur papier (glacé) et en images.  Tant mieux. 

J'ai toujours cru que la bande déssinnée était un moyen formidable moyen de communication, que ce soit pour raconter, expliquer ou décortiquer, donc je suis content que Davodeau se serve de ce medium pour parler du vin.  En tout cas, je trouve ça nettement plus intéressant que "En cuisine avec Alain Passard"** de Christophe Blain, qui fait les yeux ronds et caresse le chef dans le sens du poil.  Point de polémique ici, point d'information d'insider, juste un auteur sous le charme du Chef et qui nous donne un compte-rendu de groupie..

Donc, si vous ne savez pas quoi acheter à votre père, frère, copain ou mari pour Noël, n'hésitez pas à glisser un petit tome des Ignorants dans sous l'arbre.

* Editions Futuropolis
** Editions Gallimard Jeunesse

Saturday 5 November 2011

Petit plaisir

Comme quoi, les meilleurs moment du vin arrivent parfois de façon tout a fait inattendue... Cet après-midi, ce n'était pas dégustation; cette bouteille on l'a bue, entre amis, juste pour le plaisir de passer un bon moment ensemble. Des fois, il ne sert a rien de se prendre la tête.

Merci Hsueh Tan pour un petit gout from home.

Friday 4 November 2011

La révolution est en marche!

Petite rencontre avec un producteur de Cru Bourgeois de Listrac hier.  D'habitude je fuis ce genre de chose comme la peste, mais en l'occurrence j'ai trouvé la discussion très intéressante cette fois.  Ce qui est ressorti pour moi est la prise de conscience par ce vigneron qu'il ne peut plus dépendre de son classement en Cru Bourgeois pour se faire connaître.  Cela n'a plus aucune image nulle part.  Il en va de même pour certains Crus Classés de 4ème ou 5ème rangs.  Il dit qu'il faut maintenant chercher à se différencier et à faire mieux.  Il m'a cité l'exemple de Pontet-Canet, qui est passé en biodynamie.  C'est très rafraichissant d'entendre ces propos de la part d'un Bordelais.  Je n'ai rien contre les Bordelais, que les choses soient claires, mais la plupart du temps, et plus que dans d'autres régions, on baigne dans une apoplexie généralisée mâtinée de faux traditionalisme. Donc un peu de dynamisme fait très plaisir.  Continuez comme ça!  

Qui sait, dans 10 ans, le Bordelais sera peut-être la région viticole la plus innovante et intéressante de France...

Wednesday 2 November 2011

Pour une refonte du système d'appellation français

Bien que devenu un modèle dans le monde entier, la législation des AOC étant très novatrice pour l’époque, le système d’appellation français souffre aujourd’hui de nombreux défauts.  Il faut noter tout de même que les vins d’appellation, supposés de la meilleure qualité possible, représentent aujourd’hui plus de 50% de la production viticole française.  Quand bien même j’adore les vins français et je pense que ce sont les meilleurs au monde (par leur variété), je ne pense pas que la majorité de ce qui se produit en France mérite le label de qualité suprême.  Ensuite, les fameux cahiers des charges, qui ont évolué dans le temps, sont loin de représenter les codes drastiques d’une production de qualité.  Le point le plus discuté est certainement le rendement à l’hectare.  Dans de nombreuses appellations, les rendements maximaux sont beaucoup trop élevés, si bien que les vins peuvent en toute légalité être dilués (dans le sens d’un manque de concentration des arômes) et surtout cela a créé des situations de surproduction récurrentes, en particulier en Languedoc-Roussillon, région qui survit aujourd’hui majoritairement grâce à des soutiens financiers européens et régionaux.

Ensuite, et surtout, le système d’appellation diffère d’une région à une autre.  Dans certaines régions il existe des appellations « Villages », dans d’autres non.  Dans certaines régions, il existe des appellations premier et grand cru, dans d’autres non.  Dans certaines régions, il existe des classements qui ont valeur d’appellation.  Dans certaines régions, il existe des appellations par cépage, dans d’autres un seul cépage est autorisé par couleur.  Bref, au final le consommateur français est perdu, imaginez un peu l’amateur chinois !  Même pour un professionnel du secteur ce système est peu clair.  J’admettrais volontiers que la complexité du système d’appellation est une source intarissable de débat d’experts et de concours de connaissances.  Cela étant, un système qui n’est plus une garantie de qualité, loin s’en faut, et qui est incompréhensible même pour les professionnels peut-il encore perdurer ?  Et surtout, cela est-il souhaitable ?

Nous l’avons vu, la majorité du vin français produit aujourd’hui a droit à une AOC.  Pourtant, certains producteurs de très grande qualité doivent étiqueter leurs vins en VDP.  Cela est non seulement injuste mais les VDP ont des noms qui ne disent absolument rien à la plupart des français et encore moins aux étrangers.  Pour clarifier, il existe plusieurs niveaux de VDP : des VDP régionaux, des VDP de départements et des VDP « de zone ».  Mais la limite entre ces dénominations est floue au mieux.  On a donc droit à des noms aussi obscures que fantaisistes comme « Vin de Pays du Jardin de la France » qui est certes très joli mais au fait, c’est où le « Jardin de la France » ?  Ou encore « Vin de Pays des Marches de Bretagne » ou « Vin de Pays des Sables du Golfe du Lion ».  C’est encore très joli mais flou…  La création des nombreux VDP a été progressive et souvent faite pour remédier à un cas particulier.  Donc on est proche d’une appellation ou en pleine appellation et on ne peut pas pour une raison quelconque avoir droit à l’AOC, donc on va créer un VDP avec un nom assez vague pour expliquer qu’on se situe plus ou moins dans cette zone.  Bref, vous voyez où je veux en venir, tout cela n’est pas très encourageant.

Ensuite, dans les AOC, il existe plusieurs niveaux, 18 au total, allant de « Cru Artisan » (il n’existe à mon grand désespoir pas de « Cru Industriel ») à Grand Cru ou Grand Cru Classé.  Le Bordelais a poussé les classements à leur paroxysme avec pas moins de 6 classements différents, entre le classement de 1855 du Médoc  et des Graves, le Classement des Crus Bourgeois (3 niveaux), le Classement de Sauternes, le Classement de St Emilion (avec 4 niveaux), révisable tous les 10 ans en théorie.  Bref, on en vient à penser que ce qui est écrit sur l’étiquette ne veut plus rien dire.  On va d’ailleurs s’attarder sur le cas particulier du Classement de 1855 des Crus du Médoc pour étayer ce point.  En 1855, l’Empereur Napoléon III demande aux courtiers de la place de Bordeaux d’établir un classement des vins du Médoc (et de Sauternes : le principe est le même, mais ne compliquons pas trop les choses) en vue de l’Exposition Universelle de Paris.  Cela doit permettre aux vins Médocains d’être facilement jaugés par les marchés d’export.  Résultat, une soixantaine de crus, « Châteaux » ou plutôt domaines, sont classés en 5 catégories, du 1er Grand Cru au 5ème Grand Cru.  Les courtiers de la place de Bordeaux ont un seul critère pour établir ce classement, le plus objectif qui soit : le prix des vins sur la place.  Avance-rapide cent-cinquante ans et ce classement est officialisé comme appellation et mention légale sur l’étiquette.  Il est assez intéressant que les 2, 3, 4 ou 5ème Grands Crus classés ne font mention que de « Grand Cru Classé » sur leurs étiquettes, pas de leur « rang ».  Entre temps aussi, presque tous les châteaux ont changé de main, certains ont été divisés (c’est le cas par exemple des Châteaux Léoville, divisé en trois, Pichon-Longueville, divisé en deux, ou encore Rauzan, divisé en deux) suite à des héritages ou des ventes.  Mais tous les domaines nés de divisions ont le droit de garder le classement de l’entité ancienne.  Ah bon, comment ça ?  Ne serait-ce pas l’occasion de faire un point sur les nouvelles propriétés ?  Par ailleurs et surtout, le classement prend en compte les noms de Domaine uniquement, pas le domaine (ou son cadastre) lui-même, donc un Château qui acquiert des vignes dans une aire avoisinante de moindre qualité, peut parfaitement intégrer les vins produits à partir de ces parcelles dans leur Grand Cru Classé.  Ah bon ?  Ici, l’homme (ou la personne morale) prime sur le terroir.

La Côte d’Or de Bourgogne et le Chablisien bénéficient aussi d’une classification.  Cette classification est antérieure à la création des AOC, du fait d’un travail de très longue haleine de moines clunisiens et cisterciens pour identifier les meilleurs « climats ».  Ainsi on sait depuis très longtemps que le Musigny est le meilleur vignoble de la commune de Chambolle et ses vins se vendent beaucoup plus chers que d’autres vins de la commune.  D’ailleurs, si on parle de Gevrey-Chambertin, c’est grâce à l’amour de Napoléon pour le Chambertin, qui vouait un vrai culte à ces vins.  Il semblerait qu’un de ses médecins personnels lui en ait conseillé la consommation pour guérir toutes sortes de maux, et que Napoléon y ait pris goût.  Cependant, les propriétaires de vignobles de la commune de Gevrey ont fait valoir qu’il leur était difficile de faire connaître leurs vins, car ils vivaient à l’ombre du renommé Chambertin.  Napoléon a donc autorisé les vignerons à accoler le nom du Chambertin à celui de leur commune.  Et ainsi, le Gevrey-Chambertin est né, mais aussi le Chambolle-Musigny, le Morey-Saint-Denis, le Vosne-Romanée, l’Aloxe-Corton ou encore le Puligny-Montrachet.  Ainsi, les consommateurs du monde entier pouvaient reconnaître les vins de ces communes, car ils connaissaient évidemment ces climats, appelés à devenir plus tard des Grands Crus. 
Malheureusement pour la Bourgogne, là ou il existait un oligopole puissant de  noblesse et de clergé bienveillants, la Révolution a fragmenté les propriétés et un découpage des vignobles a été opéré.  Aujourd’hui, un climat de 4 hectares en Premier ou Grand Cru, peut avoir 20 exploitants différents.  Mais tant que le raisin provient dudit climat (et que le cahier des charges laxiste est respecté) tout producteur qui y produit du raisin et en fait du vin a droit à l’appellation.  Le terroir prime ici sur l’homme.  C’est cela qui fait la complexité des vins de Bourgogne.  Il existe des centaines de climats et les connaître tous, ainsi que leurs caractéristiques est un travail digne d’une préparation de concours de grande école, mais surtout, il faut savoir lequel (ou lesquels) des producteurs font du bon travail sur un climat donné.  Par exemple entre un Montrachet de Leflaive et un Montrachet moins bon (je ne citerais pas de nom), le prix va du simple au triple voire plus.  En attendant, l’autre producteur de Montrachet peut avoir des pratiques viticoles hasardeuses (utilisation d’herbicides et pesticides chimiques) au mépris du vignoble et de ses voisins, il aura quand même droit à l’appellation Montrachet.  Ah oui, et j’oubliais, qui sait sur quelle commune se trouve le Grand Cru Bonnes-Mares ?  Vous avez dû y réfléchir un peu ? Cela prête encore une fois à confusion ? Il est impossible de le savoir en regardant l’étiquette et l’adresse du producteur, car celui-ci est tenu d’indiquer l’adresse du Domaine, pas la commune où se situe le vignoble.  Donc un producteur de Bonnes-Mares peut être basé à Gevrey, vous n’en saurez pas moins où exactement est produit le raisin qui sert à faire du Bonnes-Mares.  Je suis à peu près certain que la moitié des sommeliers de restaurants triplement étoilés au guide Michelin ne savent pas de toute façon.  Si vous leur demandez, ils vous répondront par une circonvolution du type «  C’est un vignoble de X hectares sur terroir argilo-calcaire, avec une pente à X degrés, orientation sud-sud-est.  Les vins ont la typicité suivante : … » C’est certainement ce qui fait le charme des vins de France et de Bourgogne en particulier.  Savoir et comprendre est le privilège de quelques uns, les autres ne méritent de toute façon pas de comprendre, car ils n’ont pas fait les 10 années d’études supérieures nécessaires pour savoir.

Romain Guiberteau est un jeune producteur de Saumur.  Il a repris le domaine de son grand-père, avec des vignobles situés surtout sur la commune de Brézé, réputée pour ses sols de tuffeau ancien et son micro-climat propices au Chenin blanc.  Romain produit aujourd’hui des rouges sur plusieurs vignobles en appellation Saumur rouge ainsi que des blancs à Brézé, et grâce aux recommandations et au soutien de Nady Foucault du Clos Rougeard, on peut dire que Romain produit aujourd’hui  des vins de très bonne facture.  Ses blancs n’ont de cesse de m’éblouir et les rouges progressent d’année en année.  La première fois que j’ai visité son domaine, il m’a emmené dans ses vignes du Clos des Carmes, un vignoble qu’il avait racheté et replanté quelques années auparavant.  Il a pour la première fois produit un blanc Clos des Carmes en 2007.  Alors qu’on se promenait dans ce vignoble exceptionnel, il m’a raconté comment Curnonsky, dans son atlas des vins de France avait classé le Clos des Carmes en « Grand Cru ».  Et de se lamenter que l’INAO ne reconnaisse pas les vignobles exceptionnels d’Anjou et de Touraine.  Il mériterait bien une distinction officielle, mais il n’a aucun recours pour en faire la demande.  L’INAO ne reconnaît aucun Premier ou Grand Cru en Loire et en obtenir prendrait tant de temps, de ressources et d’efforts concertés que Romain n’a aucun espoir que cela n’arrive un jour.  Il ne peut que se contenter de raconter l’histoire de Curnonsky lorsqu’on lui rend visite et de faire apprécier ses vins au mieux de ses possibilités.  Romain est typiquement un des vignerons qui mériteraient une distinction parmi la médiocrité ambiante en Saumur.  Il est incroyablement travailleur, mène son domaine avec talent et humanité et les vins résultants sont tous très bons.  Et aussi, le ratio prix/plaisir est un des meilleurs que je connaisse. Mais en attendant, qui dans le monde sait que le Saumur peut être autre chose que ce que l’on trouve en supermarché ?  Il en va de même en Beaujolais, qui sait que le Beaujolais peut être autre chose que le Nouveau  bourré de levures industrielles qui pue la banane, un Morgon de Lapierre par exemple ? Comment faire la différence si on ne sait pas ?

Après des années d’étude du vin en France et d’échange avec des professionnels, producteurs, importateurs et distributeurs, sommeliers etc. j’ai établi mon système idéal d’appellation.  Voici mes recommandations :
  •            Les vins de table : sont tous les vins qui ne rentrent pas dans les critères de l’appellation que nous allons développer ci-dessous.  Les vins de table doivent pouvoir mentionner où ils sont produits.  On parlera donc de Vin de Table du Val de Loire (appellation régionale), sauf si ils s’agit d’un assemblage de plusieurs régions dans quel cas cela sera explicitement mentionné.  Il faut par ailleurs en finir avec cette règle absurde que les vins de table ne doivent pas mentionner de millésime.  Parlez-en à Didier Barral si vous voulez en avoir le cœur net.  La mention du millésime devient obligatoire sauf si il s’agit d’un multi-millésime, dans quel cas il faudra aussi en faire mention.


  •       Les VDP doivent disparaître et être intégrés dans des ADC (appellations départementales contrôlées).  Les ADC sont des appellations de vignobles d’un département qui ne rentrent pas dans le régime strict des AOQC (dont nous parlerons plus bas).  Elles intègreront non seulement les anciens VDP mais aussi les anciennes appellations régionales (Touraine, Bourgogne, Alsace, Côtes-du-Rhône ou Côtes de Roussillon par exemple). Les règles sont évidemment plus souples que pour les AOQC, surtout en termes d’aires d’appellation.

  •            Les AOC vont être refondues en Appellations d’Origine et de Qualité Contrôlées.  Cela concerne les 25% de vins de qualité supérieure.  Si l’idée est de baser le classement sur la qualité du produit final, il est légitime de se demander comment établir la qualité d’un vin ?  D’une part grâce à des cahiers des charges beaucoup plus exigeants (pas d’intrants chimiques, pas de levures « exogènes », des rendements grandement diminués…) et d’autre part grâce a des comités d’expert qui jugent la régularité d’un domaine et dégustent à l’aveugle tous les millésimes.  Comme indiqué précédemment, les comités d’experts ne peuvent pas avoir de conflit d’intérêt avec les appellations concernées (je pense que chaque région doit être dotée d’un comité), c’est-à-dire qu’il ne doit pas être producteur de vin dans la région.  Je sais que cela peut paraître triste de ne pas soumettre les vignerons à des « peer reviews », mais souvent les vignerons d’une appellation n’ont pas le recul nécessaire (sans parler des questions de jalousie) pour décider de qui doit avoir droit à l’appellation ou non.  Et les dégustations doivent être strictement à l’aveugle (contrairement à ce qui se fait aujourd’hui) et surtout les vignerons doivent pouvoir soumettre leurs échantillons quand ils estiment que le vin est « fini » et prêt à être embouteillé.  Les comités d’agrémentation doivent être composés à parts égales de fonctionnaires spécialement formés par l’INAO (on trouvera certainement un autre nom à un « Institut » moribond) et de professionnels (sommeliers, courtiers, distributeurs) spécialement agréés.  Bref, encore une fois, l’idée est de baser le principe d’appellation sur la qualité réelle des produits.  Vous me direz que la qualité d’un vin est subjective.  Je répondrais volontiers que non.  Ceux qui pensent que le goût est subjectif ont du mépris pour les dégustateurs.  On peut être formé à reconnaître le « bon » et surtout par effet miroir, les défauts d’un vin.  Un vin de qualité est tout simplement un vin équilibré et dépourvu de défauts. Et savoir reconnaître cela s’apprend, tout comme on apprend à fabriquer un meuble ou calculer la racine carrée d’un nombre.

  •            En termes d’encépagement, un vigneron peut accéder à l’AOQC avec n’importe quel cépage, tant est que ses vignobles sont dans l’aire d’appellation  et qu’il a fait la preuve, au bout de 5 années pour des cépages qui ne sont pas déjà autorisés, de la qualité continue de son vin et de l’intérêt de ce cépage (soit tout seul, soit en assemblage).

  •            En termes de classement, il faut établir un système unique de Premiers et Grands Crus dans toutes les régions.  Ce classement doit prendre en compte à la fois le producteur ET le vignoble et les règles de l’appellation.  Il s’agit en somme d’un mélange du système Bordelais et Bourguignon.   Je pense que pour ces 5% de vins de qualité très supérieure, il est raisonnable que les vins soient systématiquement produits dans une forme généraliste de viticulture respectueuse.  Pourquoi ne pourrait-on pas produire de grands vins dans en viticulture chimique me direz-vous ?  La réponse était dans mon post d’hier et est très simple : les racines d’une vigne sont incapables d’assimiler les nombreux minéraux d’un sol et de les transmettre aux raisins sans l’aide de micro-organismes.  Ces micro-organismes décomposent les minéraux pour que la vigne puisse les intégrer.  En somme, un vin ne peut pas avoir de « minéralité » si le sol dans lequel pousse ses vignes n’est pas vivant.  C’est aussi simple que cela : il n’est pas et il ne pourra jamais être de grand vin si le sol et le biotope sont asphyxiés par des produits chimiques.  Donc un Premier ou un Grand Cru ne peut pas mériter cette appellation, si les vins ne sont pas produits de façon respectueuse du sol et de l’environnement.  Après, bien entendu, il existe de nombreuses viticultures respectueuses aujourd’hui : Bio, Issue de Raisins bios, Biodynamique, Lutté Raisonnée, « Naturels » ; et les labels sont nombreux.  Le but ici est de créer un label unique qui soit utilisable et obligatoire pour tous les producteurs de Premier ou Grand Cru.  Après, libres au vignerons d’avoir des pratiques plus strictes encore, mais au moins cela deviendra un minimum assez exigeant pour tout vin qui prétend aux classements supérieurs.


           Un remaniement du système d’appellation français est nécessaire, nous l’avons vu.  Ces recommandations ne sont sont bien entendu perfectibles et n’ont pas vocation à être exhaustives.  J’en appelle donc  à vous, chers lecteurs, pour partager avec nous vos remarques et commentaires.