Tuesday 25 October 2011

Accords imparfaits

Ca me fait toujours bien marrer de lire des recettes de cuisine où l'auteur se sent obligé de donner des recommandations d'accord avec du vin.  Sachez qu'avec le tagine d'agneau aux pruneaux, il est recommandé de boire un Châteauneuf-du-Pape rouge ou un Coteaux du Languedoc et avec un civet de lièvre, rien de tel qu'un Chambolle-Musigny ou un Chinon rouge.  Comme si n'importe quel vin de l'appellation ferait l'affaire. Oui, et puis, si vous utilisez pour votre recette un lièvre surgelé de chez Lidl ou un lièvre chassé par vos soins, c'est exactement la même chose... Le tout, c'est d'y croire!

Je veux bien qu'il y ait un "style" ou une typicité d'appellation.  En effet, on retrouve souvent des caractéristiques communes, par exemple, entre les Côte-Rôtie de plusieurs producteurs (sur un millésime donné).  Il est vrai qu'en France, on a tendance à penser que le terroir fait tout, c'est un discours tout à fait généralisé et accepté de tous.  Encore faut-il s'entendre sur le terme "terroir".  Noter quand même qu'un terroir, dans son acception globale, c'est la somme des facteurs naturels ET humains; trop souvent on fait un raccourci pour dire que le terroir, en fait, ce ne sont que les facteurs naturels et en particulier géologiques...   D'ailleurs, dans l'écrasante majorité des cas, en France, quand on parle de "terroir" on parle du sol: on entend souvent des trucs du genre "ce vin provient d'un terroir argilo-calcaire".  Cela est non seulement inutile (c'est bien, tu as bien appris ta leçon, coucouche panier maintenant), mais trompeur.  Je n'aime pas les vignerons qui se cachent trop derrière le "terroir" (comprendre uniquement les facteurs naturels, voire le sol), c'est soit de la fausse-modestie, soit une façon de se déresponsabiliser; Ben oui, si le sol fait tout, je ne vois pas pourquoi on se briserait l'échine à faire quoique ce soit.  Puisque tout est déterminé d'avance, il suffit de laisser "s'exprimer le terroir".  Cela est un trait tout ce qu'il y a de plus français et même si je ne nierais jamais l'importance des facteurs naturels dans le goût d'un vin, je pense que le travail du vigneron est plus déterminant.  Tout ça pour dire qu'entre un Saumur-Champigny de la Cave coopérative de Saint-Cyr-en-Bourg et un Clos Rougeard, il n'y pas seulement un monde, mais il y a beaucoup plus de différence entre ces deux vins qu'entre un Saumur-Champigny et un Bourgueil produits de façon similaire.

Je trouve dangereux de partir du principe que les facteurs naturels font tout, car cela n'aide pas les gens à apprécier le vin, mais les encourage plutôt à mémoriser ce qu'est sensé goûter une aire géographique.  Et c'est exactement ce que nous encouragent à faire ces recommandations débiles du genre "Servir avec un Chablis bien frais".  Ben oui, mais quoi comme Chablis?  Elevé en fûts de chêne?  Jeune, vieux, quel millésime???  Levures endogènes ou pas??? Je trouve ça complètement débile et inutile de me dire de boire un Chablis.  Si je veux boire un Chablis, j'en choisirai un d'un producteur que j'aime bien et non, cela n'est pas la même chose que le Chablis de cave copé qu'on trouve en supermarché.

Cela étant, beaucoup de gens ont beaucoup réfléchi aux accords mets et vins et malgré tout cela, on entend toujours des inepties de la plupart des gens, comme "Rien de tel qu'un bon Camembert avec un vin rouge!".  Je ne sais pas si vous avez déjà essayé, mais le camembert ne va absolument pas avec le vin rouge et encore moins les rouges tanniques: ça fait ressortir l'amertume.  Le sommelier lui est supposé nous trouver l'accord parfait quand on va au restaurant.  Bon, déjà, passons sur le fait que si tout le monde ne mange pas la même chose à une table, il est impossible que cela marche, à moins de chacun avoir un verre de vin différent.  D'ailleurs, le travail du sommelier n'est pas tant de trouver ce qui va "aller avec" ce que vous mangez, mais plutôt de trouver un vin qui ne va pas choquer ni dominer ni être dominé par ce que vous mangez.  Le sommelier est un garde-fou en quelques sortes.  D'ailleurs, on peut dire ce que l'on veut, mais dans 99% des cas, la cuisine et la sommellerie ne travaillent pas du tout ensemble: le Chef sort ce qu'il aime cuisiner et le sommelier sert les vins qu'il aime, mais la réflexion ne va pas du tout au-delà.  Je ne dis pas que c'est dommage, je dis simplement que c'est comme ça.  Cela ne nous empêche pas de boire une bonne bouteille de vin en mangeant un plat agréable et de passer un bon moment.

De toutes façons, la seule façon pour qu'un accord marche réellement (et ne soit pas le fruit du hasard), c'est de commencer avec la bouteille de vin.  Je veux dire par là que ce qui est dans la bouteille ne peux pas être altéré (en tout cas, je ne le recommande pas), par contre, un plat peut être adapté ou créé en fonction du vin.  Un certain Alain Senderens avait commencé à faire ça il y a quelques années et pour moi c'est la seule démarche honnête possible si on veut réellement s'intéresser aux accord mets et vins: il faut créer un plat sur-mesure pour aller avec le vin, pas trouver un vin qui "s'adapte" au plat, ce qui est impossible.  C'est d'ailleurs ce que font beaucoup de gens quand ils cuisinent chez eux: ils ont en tête un certain vin et ils vont faire un plat en fonction.  

Après, il ne faut pas se voiler la face: tout le monde parle du fameux "Un plus un, font trois", comme si l'accord pouvait apporter une dimension supplémentaire à l'expérience.  Pour ma part, j'ai déjà goûté deux ou trois fois du vin et été parfois au restaurant, je cours toujours après ce "un plus un, font trois".  Je commence à penser que cela n'existe que dans les discours des sommeliers, des journalistes ou autres commentateurs du vin, pour donner envie aux gens et leur faire continuer à acheter du vin (ben oui, c'est un peu la crise, alors tout ce qu'on peut fair epour aider...).  L'accord parfait c'est un peu la théorie McCain: plus on en parle, moins on en voit.  Pour ma part, je ne me fais plus aucune illusion, je me contente d'apprécier un vin ou un plat pour ce qu'ils sont, j'essaie de ne pas boire et manger des choses qui ne vont absolument pas ensemble et si je cuisine, je pars toujours du vin.  On peut déjà avoir suffisamment de plaisir comme ça, pas besoin de plus merci.  En attendant, je continue de me marrer quand un magazine me recommande de boire un Médoc avec mon magret de canard. Pfff, quelle connerie.

1 comment:

  1. Je me vois avec une bonne bouteille débouchée en train de décider quel plat serait bon pour l'accompagner - la bouteille serait fini avant de faire les courses et/ou de cuisiner - je rigole! En effet, il vaut mieux partir de la bouteille, mais encore faut-il avoir une bonne mémoire olfactive et gustative du bon vin que nous avons eu la chance de goûter. Une astuce, essayer de parler cuisine lorsqu'on goûte des vins à la propriété, et imaginer sur le moment quel plat irait bien avec chaque bouteille - mon meilleur souvenir étant avec Mme. Blot au domaine de la Taille aux Loups. Si seulement j'avais tout noté dans un cahier!!!!

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