Tuesday 18 October 2011

Connaissez-vous le Porto?

Petit hommage à Bruno Verjus dans le titre.

La vraie question serait plutôt: les Français connaissent-ils le Porto?  A en croire un de mes anciens boss, fin connaisseur du vin et du marché français, les Français ne boivent que des tawny et des ruby "sans intérêt".  Il est vrai qu'on voit rarement en France des Portos Vintage ou des vieilles Colheitas.  A l'occasion de la rencontre récente d'un importateur de Portos "indépendants" et d'une dégustation de sa gamme, le Porto est venu se rappeler à mon bon souvenir.  Petit tour d'horizon:

Pour ceux qui savent déjà comment on fait du Porto, passer au prochain paragraphe. Pour les autres, lire attentivement.  Le Porto est un vin muté, qu'il soit rouge ou (beaucoup plus rarement) blanc.  Le mutage (non, pas la mutation) est une opération qui consiste à rajouter de l'alcool neutre (généralement fait avec du raisin, quand même), dans un vin en fermentation pour stopper la fermentation.  Les raisons historiques de ce procédé tiennent essentiellement à une stabilité accrue du vin après mutage.  Bref, il faut savoir que les levures qui transforment le sucre contenu dans le raisin en alcool (et en CO2) ne supportent pas une concentration en alcool trop élevée, généralement pas plus de 14 ou 15%.  C'est pourquoi, un jus de raisin dont le brix (concentration en sucre, traduite en potentiel alcoolique) est supérieur à 15, donnera un vin sucré, car les levures meurent avant d'avoir consommé tout le sucre et il reste donc du sucre résiduel dans le produit final.  C'est aussi pour ça que si on ajoute de l'alcool à un vin qui fermente et donc qu'on augmente la concentration en alcool au-dessus du seuil de 15% (ce seuil dépend évidemment du type de levures, des conditions climatiques et de tas d'autres facteurs, mais on va prendre ce chiffre pour faire simple), les levures meurent, et le vin résultant contiendra aussi du sucre.  On ne parle pas ici de sucre "résiduel".  Bref, le principe de base est le même pour tous les Portos: ce sont des vins mutés.  En France on appelle ça, honteusement, un "Vin Doux Naturel", ce qui est impropre et volontairement trompeur, car il n'y a rien de naturel dans le fait de muter le vin.  Un Alsace Vendanges Tardives, un Coteaux du Layon ou un Sauternes sont beaucoup plus "naturellement doux"...

Noter quand même que la production du Porto est en fait assez similaire à la production de Champagne.  Je veux dire par là, que pour des raisons de régularité dans des conditions climatiques extrêmes (froid en Champagne, chaud dans la vallée du Douro, où se trouvent les vignes du Porto), la plupart des vins embouteillés est un assemblage de millésimes.  Pour diverse raisons économiques (car il faut avoir les reins solides pour supporter d'avoir la majorité de sa production immobilisée pendant plusieurs années), cela favorise aussi la répartition du type: très grande concentration de la production de vin entre les mains de quelques très gros négociants et très grande multitude de petits vignerons qui fournissent du raisin aux négociants.  Et comme en Champagne, avec l'essor ces dernières années des vins "de vignerons", ou en termes techniques de "récoltants manipulants" (merci l'administration française), il est passionant de voir l'essor des Portos de vignerons, ou, comme ils disent là-bas, de "quinta".  Comme en Champagne, beaucoup de familles qui fournissent du raisin depuis des générations aux négociants, ont aussi une petite production familiale, qui est aujourd'hui beaucoup plus valorisée.

Après, ce qui va faire la différence entre les différentes catégories de Porto, c'est l'élevage.  Voici les principales catégories:
- Le Tawny: c'est un vin élevé pendant une très longue période dans des foudres (très grands fûts).  Généralement, ce ne sont pas les vins de la plus grande qualité qui vont être mis en foudres pour devenir des Tawnys... Une oxydation lente s'opère et le vin final est totalement oxydatif.  Il peut y avoir une mention d'âge sur l'étiquette.  Cela est en fait une moyenne d'âge des vins assemblés pour cet embouteillage particulier.  Par exemple, un Tawny 40 ans d'âge peut très bien être un assemblage de vins de 20 ans et de 60 ans à proportions égales.  Quand il n'y a pas de mention d'âge, il s'agit de vins très jeunes et donc moins complexes.

- Le Vintage: comme en Champagne, certains millésimes "exceptionnels" ont droit à une "déclaration de millésime", c'est-à-dire que les producteurs ont le droit de faire du vin de ce millésime exclusivement.  Pour la petite histoire, un producteur qui estime que sa production ou une partie de sa production une année non-déclarée en vaut la peine, a un recours et peut demander une déclaration personnelle, ce que ne peuvent pas faire les Champenois.  Merci qui?  Ensuite, les Vintage sont vieillis dans des petits fûts pendant une ou deux années, comme un vin normal quoi.  Ces vins sont les plus prisés des amateurs de Porto et ressemblent le plus à des vins rouges normaux.  Je dis souvent que les gros rouges de la Napa Valley et (malheureusement) de l'Oregon, à la fois très tanniques et avec beaucoup de sucre résiduel, peuvent ressembler à des portos.  C'est de ce type de Porto que je parle en disant cela.  Bien sûr la structure n'est pas la même, en particulier l'intégration de l'alcool, mais bon, vous voyez où je veux en venir: le Porto Vintage, c'est un gros rouge avec du sucre.  Cela étant, c'est parmi les vintage qu'on trouvera les expressions les plus intéressantes et les plus typées.  Ce qui ne cesse de me fasciner, c'est comment certains portos vintages peuvent avoir autant de fraîcheur et de vivacité, alors que tout semblerait indiquer exactement le contraire.

- Les LBV (late-bottled vintage) ou Colheitas: Ce sont des vins destinés à l'origine à être des tawnys, mais qui ont finalement été embouteillés en mono-millésime, après un élevage extensif et oxydatif donc.  En réalité, les producteurs de Porto savent très bien ce qui va devenir un LBV et d'ailleurs utilisent généralement pour cette production des fûts moins grands que les Tawnys classiques.  Dans le pire des cas, si le fût ne donne pas satisfaction, il peuvent toujours le transvaser dans un contenant plus grand de tawny.  Cette catégorie pour moi est la plus intéressante en termes de rapport qualité-prix et on peut encore trouver des vraies pépites des années 60 à moins de 150€, ce qui est cher, je sais, mais pas vraiment quand on considère l'âge...  Le LBV est à mi-chemin entre le Tawny et le Vintage, oxydatif, comme je disais, mais avec les caractéristiques propres d'un millésime.  La production varie beaucoup, mais peut donner lieu à des flacons vraiment exceptionnels.

Voilà en gros et en pas trop long le porto.  J'ai sciemment évité de parler de terroirs ou de cépages, n'importe quel site internet peut mieux vous renseigner que moi.  Je trouve dommage que l'on ne boive pas plus de vrai porto en France.  Il se prête pourtant très bien à la table, demandez aux Anglais quel est le meilleur vin pour boire avec des fromages bleus...  Un truc que je n'ai jamais vraiment compris, c'est la décantation du Porto, en particulier le vintage.  A chaque fois que j'ai été invité à une dégustation de porto, le vin avait été décanté avant que je n'arrive.  Je crois comprendre qu'il est préférable de décanter un porto vintage et je pense que la plupart du temps, il s'agit de double-décantation: en gros on verse dans une carafe (avec peut-être une petite filtration au passage) et ensuite on reverse dans la bouteille d'origine.  Bref, j'aime bien ce petit côté mystérieux.

Ensuite, donc, comme je disais, si vous voulez vous intéresser au Porto, il est préférable d'étudier les Vintage, les LBV ou les très vieux Tawnys.  Ensuite, si le Porto est en grande distribution, évitez d'en acheter, surtout les marques qui finissent en < 's >.  Ces vins-là sont tout juste bons à déglacer les sucs au fond de votre poêle pour construire votre sauce.  Les vins de vignerons, ou de quinta, sont à mon avis les plus intéressants.  Si la marque du vin s'appelle Quinta do ou Quinta da machin-bidule, c'est bon.  Attention cependant, car les gros négociants, sentant l'intérêt pour les portos de quinta, se sont mis à embouteiller des vins "single-quinta".  Evitez aussi, c'est souvent du pipeau sans intérêt.  Après, on a un vrai problème en France: où trouver des vrais bons Portos?  Je suis désolé, mais je ne sais pas, j'ai toujours bu du porto à l'étranger.  Certains bons cavistes parisiens doivent en avoir, je pense qu'il doit y en avoir un peu plus dans le Sud-Ouest, par proximité géographique, mais à part ça, je ne sais pas trop.  Sinon, faites vos bagages et consommez-en à Londres, New York ou Porto... Comme dirait le Guide Michelin, ça en vaut le détour.

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