Wednesday 2 November 2011

Pour une refonte du système d'appellation français

Bien que devenu un modèle dans le monde entier, la législation des AOC étant très novatrice pour l’époque, le système d’appellation français souffre aujourd’hui de nombreux défauts.  Il faut noter tout de même que les vins d’appellation, supposés de la meilleure qualité possible, représentent aujourd’hui plus de 50% de la production viticole française.  Quand bien même j’adore les vins français et je pense que ce sont les meilleurs au monde (par leur variété), je ne pense pas que la majorité de ce qui se produit en France mérite le label de qualité suprême.  Ensuite, les fameux cahiers des charges, qui ont évolué dans le temps, sont loin de représenter les codes drastiques d’une production de qualité.  Le point le plus discuté est certainement le rendement à l’hectare.  Dans de nombreuses appellations, les rendements maximaux sont beaucoup trop élevés, si bien que les vins peuvent en toute légalité être dilués (dans le sens d’un manque de concentration des arômes) et surtout cela a créé des situations de surproduction récurrentes, en particulier en Languedoc-Roussillon, région qui survit aujourd’hui majoritairement grâce à des soutiens financiers européens et régionaux.

Ensuite, et surtout, le système d’appellation diffère d’une région à une autre.  Dans certaines régions il existe des appellations « Villages », dans d’autres non.  Dans certaines régions, il existe des appellations premier et grand cru, dans d’autres non.  Dans certaines régions, il existe des classements qui ont valeur d’appellation.  Dans certaines régions, il existe des appellations par cépage, dans d’autres un seul cépage est autorisé par couleur.  Bref, au final le consommateur français est perdu, imaginez un peu l’amateur chinois !  Même pour un professionnel du secteur ce système est peu clair.  J’admettrais volontiers que la complexité du système d’appellation est une source intarissable de débat d’experts et de concours de connaissances.  Cela étant, un système qui n’est plus une garantie de qualité, loin s’en faut, et qui est incompréhensible même pour les professionnels peut-il encore perdurer ?  Et surtout, cela est-il souhaitable ?

Nous l’avons vu, la majorité du vin français produit aujourd’hui a droit à une AOC.  Pourtant, certains producteurs de très grande qualité doivent étiqueter leurs vins en VDP.  Cela est non seulement injuste mais les VDP ont des noms qui ne disent absolument rien à la plupart des français et encore moins aux étrangers.  Pour clarifier, il existe plusieurs niveaux de VDP : des VDP régionaux, des VDP de départements et des VDP « de zone ».  Mais la limite entre ces dénominations est floue au mieux.  On a donc droit à des noms aussi obscures que fantaisistes comme « Vin de Pays du Jardin de la France » qui est certes très joli mais au fait, c’est où le « Jardin de la France » ?  Ou encore « Vin de Pays des Marches de Bretagne » ou « Vin de Pays des Sables du Golfe du Lion ».  C’est encore très joli mais flou…  La création des nombreux VDP a été progressive et souvent faite pour remédier à un cas particulier.  Donc on est proche d’une appellation ou en pleine appellation et on ne peut pas pour une raison quelconque avoir droit à l’AOC, donc on va créer un VDP avec un nom assez vague pour expliquer qu’on se situe plus ou moins dans cette zone.  Bref, vous voyez où je veux en venir, tout cela n’est pas très encourageant.

Ensuite, dans les AOC, il existe plusieurs niveaux, 18 au total, allant de « Cru Artisan » (il n’existe à mon grand désespoir pas de « Cru Industriel ») à Grand Cru ou Grand Cru Classé.  Le Bordelais a poussé les classements à leur paroxysme avec pas moins de 6 classements différents, entre le classement de 1855 du Médoc  et des Graves, le Classement des Crus Bourgeois (3 niveaux), le Classement de Sauternes, le Classement de St Emilion (avec 4 niveaux), révisable tous les 10 ans en théorie.  Bref, on en vient à penser que ce qui est écrit sur l’étiquette ne veut plus rien dire.  On va d’ailleurs s’attarder sur le cas particulier du Classement de 1855 des Crus du Médoc pour étayer ce point.  En 1855, l’Empereur Napoléon III demande aux courtiers de la place de Bordeaux d’établir un classement des vins du Médoc (et de Sauternes : le principe est le même, mais ne compliquons pas trop les choses) en vue de l’Exposition Universelle de Paris.  Cela doit permettre aux vins Médocains d’être facilement jaugés par les marchés d’export.  Résultat, une soixantaine de crus, « Châteaux » ou plutôt domaines, sont classés en 5 catégories, du 1er Grand Cru au 5ème Grand Cru.  Les courtiers de la place de Bordeaux ont un seul critère pour établir ce classement, le plus objectif qui soit : le prix des vins sur la place.  Avance-rapide cent-cinquante ans et ce classement est officialisé comme appellation et mention légale sur l’étiquette.  Il est assez intéressant que les 2, 3, 4 ou 5ème Grands Crus classés ne font mention que de « Grand Cru Classé » sur leurs étiquettes, pas de leur « rang ».  Entre temps aussi, presque tous les châteaux ont changé de main, certains ont été divisés (c’est le cas par exemple des Châteaux Léoville, divisé en trois, Pichon-Longueville, divisé en deux, ou encore Rauzan, divisé en deux) suite à des héritages ou des ventes.  Mais tous les domaines nés de divisions ont le droit de garder le classement de l’entité ancienne.  Ah bon, comment ça ?  Ne serait-ce pas l’occasion de faire un point sur les nouvelles propriétés ?  Par ailleurs et surtout, le classement prend en compte les noms de Domaine uniquement, pas le domaine (ou son cadastre) lui-même, donc un Château qui acquiert des vignes dans une aire avoisinante de moindre qualité, peut parfaitement intégrer les vins produits à partir de ces parcelles dans leur Grand Cru Classé.  Ah bon ?  Ici, l’homme (ou la personne morale) prime sur le terroir.

La Côte d’Or de Bourgogne et le Chablisien bénéficient aussi d’une classification.  Cette classification est antérieure à la création des AOC, du fait d’un travail de très longue haleine de moines clunisiens et cisterciens pour identifier les meilleurs « climats ».  Ainsi on sait depuis très longtemps que le Musigny est le meilleur vignoble de la commune de Chambolle et ses vins se vendent beaucoup plus chers que d’autres vins de la commune.  D’ailleurs, si on parle de Gevrey-Chambertin, c’est grâce à l’amour de Napoléon pour le Chambertin, qui vouait un vrai culte à ces vins.  Il semblerait qu’un de ses médecins personnels lui en ait conseillé la consommation pour guérir toutes sortes de maux, et que Napoléon y ait pris goût.  Cependant, les propriétaires de vignobles de la commune de Gevrey ont fait valoir qu’il leur était difficile de faire connaître leurs vins, car ils vivaient à l’ombre du renommé Chambertin.  Napoléon a donc autorisé les vignerons à accoler le nom du Chambertin à celui de leur commune.  Et ainsi, le Gevrey-Chambertin est né, mais aussi le Chambolle-Musigny, le Morey-Saint-Denis, le Vosne-Romanée, l’Aloxe-Corton ou encore le Puligny-Montrachet.  Ainsi, les consommateurs du monde entier pouvaient reconnaître les vins de ces communes, car ils connaissaient évidemment ces climats, appelés à devenir plus tard des Grands Crus. 
Malheureusement pour la Bourgogne, là ou il existait un oligopole puissant de  noblesse et de clergé bienveillants, la Révolution a fragmenté les propriétés et un découpage des vignobles a été opéré.  Aujourd’hui, un climat de 4 hectares en Premier ou Grand Cru, peut avoir 20 exploitants différents.  Mais tant que le raisin provient dudit climat (et que le cahier des charges laxiste est respecté) tout producteur qui y produit du raisin et en fait du vin a droit à l’appellation.  Le terroir prime ici sur l’homme.  C’est cela qui fait la complexité des vins de Bourgogne.  Il existe des centaines de climats et les connaître tous, ainsi que leurs caractéristiques est un travail digne d’une préparation de concours de grande école, mais surtout, il faut savoir lequel (ou lesquels) des producteurs font du bon travail sur un climat donné.  Par exemple entre un Montrachet de Leflaive et un Montrachet moins bon (je ne citerais pas de nom), le prix va du simple au triple voire plus.  En attendant, l’autre producteur de Montrachet peut avoir des pratiques viticoles hasardeuses (utilisation d’herbicides et pesticides chimiques) au mépris du vignoble et de ses voisins, il aura quand même droit à l’appellation Montrachet.  Ah oui, et j’oubliais, qui sait sur quelle commune se trouve le Grand Cru Bonnes-Mares ?  Vous avez dû y réfléchir un peu ? Cela prête encore une fois à confusion ? Il est impossible de le savoir en regardant l’étiquette et l’adresse du producteur, car celui-ci est tenu d’indiquer l’adresse du Domaine, pas la commune où se situe le vignoble.  Donc un producteur de Bonnes-Mares peut être basé à Gevrey, vous n’en saurez pas moins où exactement est produit le raisin qui sert à faire du Bonnes-Mares.  Je suis à peu près certain que la moitié des sommeliers de restaurants triplement étoilés au guide Michelin ne savent pas de toute façon.  Si vous leur demandez, ils vous répondront par une circonvolution du type «  C’est un vignoble de X hectares sur terroir argilo-calcaire, avec une pente à X degrés, orientation sud-sud-est.  Les vins ont la typicité suivante : … » C’est certainement ce qui fait le charme des vins de France et de Bourgogne en particulier.  Savoir et comprendre est le privilège de quelques uns, les autres ne méritent de toute façon pas de comprendre, car ils n’ont pas fait les 10 années d’études supérieures nécessaires pour savoir.

Romain Guiberteau est un jeune producteur de Saumur.  Il a repris le domaine de son grand-père, avec des vignobles situés surtout sur la commune de Brézé, réputée pour ses sols de tuffeau ancien et son micro-climat propices au Chenin blanc.  Romain produit aujourd’hui des rouges sur plusieurs vignobles en appellation Saumur rouge ainsi que des blancs à Brézé, et grâce aux recommandations et au soutien de Nady Foucault du Clos Rougeard, on peut dire que Romain produit aujourd’hui  des vins de très bonne facture.  Ses blancs n’ont de cesse de m’éblouir et les rouges progressent d’année en année.  La première fois que j’ai visité son domaine, il m’a emmené dans ses vignes du Clos des Carmes, un vignoble qu’il avait racheté et replanté quelques années auparavant.  Il a pour la première fois produit un blanc Clos des Carmes en 2007.  Alors qu’on se promenait dans ce vignoble exceptionnel, il m’a raconté comment Curnonsky, dans son atlas des vins de France avait classé le Clos des Carmes en « Grand Cru ».  Et de se lamenter que l’INAO ne reconnaisse pas les vignobles exceptionnels d’Anjou et de Touraine.  Il mériterait bien une distinction officielle, mais il n’a aucun recours pour en faire la demande.  L’INAO ne reconnaît aucun Premier ou Grand Cru en Loire et en obtenir prendrait tant de temps, de ressources et d’efforts concertés que Romain n’a aucun espoir que cela n’arrive un jour.  Il ne peut que se contenter de raconter l’histoire de Curnonsky lorsqu’on lui rend visite et de faire apprécier ses vins au mieux de ses possibilités.  Romain est typiquement un des vignerons qui mériteraient une distinction parmi la médiocrité ambiante en Saumur.  Il est incroyablement travailleur, mène son domaine avec talent et humanité et les vins résultants sont tous très bons.  Et aussi, le ratio prix/plaisir est un des meilleurs que je connaisse. Mais en attendant, qui dans le monde sait que le Saumur peut être autre chose que ce que l’on trouve en supermarché ?  Il en va de même en Beaujolais, qui sait que le Beaujolais peut être autre chose que le Nouveau  bourré de levures industrielles qui pue la banane, un Morgon de Lapierre par exemple ? Comment faire la différence si on ne sait pas ?

Après des années d’étude du vin en France et d’échange avec des professionnels, producteurs, importateurs et distributeurs, sommeliers etc. j’ai établi mon système idéal d’appellation.  Voici mes recommandations :
  •            Les vins de table : sont tous les vins qui ne rentrent pas dans les critères de l’appellation que nous allons développer ci-dessous.  Les vins de table doivent pouvoir mentionner où ils sont produits.  On parlera donc de Vin de Table du Val de Loire (appellation régionale), sauf si ils s’agit d’un assemblage de plusieurs régions dans quel cas cela sera explicitement mentionné.  Il faut par ailleurs en finir avec cette règle absurde que les vins de table ne doivent pas mentionner de millésime.  Parlez-en à Didier Barral si vous voulez en avoir le cœur net.  La mention du millésime devient obligatoire sauf si il s’agit d’un multi-millésime, dans quel cas il faudra aussi en faire mention.


  •       Les VDP doivent disparaître et être intégrés dans des ADC (appellations départementales contrôlées).  Les ADC sont des appellations de vignobles d’un département qui ne rentrent pas dans le régime strict des AOQC (dont nous parlerons plus bas).  Elles intègreront non seulement les anciens VDP mais aussi les anciennes appellations régionales (Touraine, Bourgogne, Alsace, Côtes-du-Rhône ou Côtes de Roussillon par exemple). Les règles sont évidemment plus souples que pour les AOQC, surtout en termes d’aires d’appellation.

  •            Les AOC vont être refondues en Appellations d’Origine et de Qualité Contrôlées.  Cela concerne les 25% de vins de qualité supérieure.  Si l’idée est de baser le classement sur la qualité du produit final, il est légitime de se demander comment établir la qualité d’un vin ?  D’une part grâce à des cahiers des charges beaucoup plus exigeants (pas d’intrants chimiques, pas de levures « exogènes », des rendements grandement diminués…) et d’autre part grâce a des comités d’expert qui jugent la régularité d’un domaine et dégustent à l’aveugle tous les millésimes.  Comme indiqué précédemment, les comités d’experts ne peuvent pas avoir de conflit d’intérêt avec les appellations concernées (je pense que chaque région doit être dotée d’un comité), c’est-à-dire qu’il ne doit pas être producteur de vin dans la région.  Je sais que cela peut paraître triste de ne pas soumettre les vignerons à des « peer reviews », mais souvent les vignerons d’une appellation n’ont pas le recul nécessaire (sans parler des questions de jalousie) pour décider de qui doit avoir droit à l’appellation ou non.  Et les dégustations doivent être strictement à l’aveugle (contrairement à ce qui se fait aujourd’hui) et surtout les vignerons doivent pouvoir soumettre leurs échantillons quand ils estiment que le vin est « fini » et prêt à être embouteillé.  Les comités d’agrémentation doivent être composés à parts égales de fonctionnaires spécialement formés par l’INAO (on trouvera certainement un autre nom à un « Institut » moribond) et de professionnels (sommeliers, courtiers, distributeurs) spécialement agréés.  Bref, encore une fois, l’idée est de baser le principe d’appellation sur la qualité réelle des produits.  Vous me direz que la qualité d’un vin est subjective.  Je répondrais volontiers que non.  Ceux qui pensent que le goût est subjectif ont du mépris pour les dégustateurs.  On peut être formé à reconnaître le « bon » et surtout par effet miroir, les défauts d’un vin.  Un vin de qualité est tout simplement un vin équilibré et dépourvu de défauts. Et savoir reconnaître cela s’apprend, tout comme on apprend à fabriquer un meuble ou calculer la racine carrée d’un nombre.

  •            En termes d’encépagement, un vigneron peut accéder à l’AOQC avec n’importe quel cépage, tant est que ses vignobles sont dans l’aire d’appellation  et qu’il a fait la preuve, au bout de 5 années pour des cépages qui ne sont pas déjà autorisés, de la qualité continue de son vin et de l’intérêt de ce cépage (soit tout seul, soit en assemblage).

  •            En termes de classement, il faut établir un système unique de Premiers et Grands Crus dans toutes les régions.  Ce classement doit prendre en compte à la fois le producteur ET le vignoble et les règles de l’appellation.  Il s’agit en somme d’un mélange du système Bordelais et Bourguignon.   Je pense que pour ces 5% de vins de qualité très supérieure, il est raisonnable que les vins soient systématiquement produits dans une forme généraliste de viticulture respectueuse.  Pourquoi ne pourrait-on pas produire de grands vins dans en viticulture chimique me direz-vous ?  La réponse était dans mon post d’hier et est très simple : les racines d’une vigne sont incapables d’assimiler les nombreux minéraux d’un sol et de les transmettre aux raisins sans l’aide de micro-organismes.  Ces micro-organismes décomposent les minéraux pour que la vigne puisse les intégrer.  En somme, un vin ne peut pas avoir de « minéralité » si le sol dans lequel pousse ses vignes n’est pas vivant.  C’est aussi simple que cela : il n’est pas et il ne pourra jamais être de grand vin si le sol et le biotope sont asphyxiés par des produits chimiques.  Donc un Premier ou un Grand Cru ne peut pas mériter cette appellation, si les vins ne sont pas produits de façon respectueuse du sol et de l’environnement.  Après, bien entendu, il existe de nombreuses viticultures respectueuses aujourd’hui : Bio, Issue de Raisins bios, Biodynamique, Lutté Raisonnée, « Naturels » ; et les labels sont nombreux.  Le but ici est de créer un label unique qui soit utilisable et obligatoire pour tous les producteurs de Premier ou Grand Cru.  Après, libres au vignerons d’avoir des pratiques plus strictes encore, mais au moins cela deviendra un minimum assez exigeant pour tout vin qui prétend aux classements supérieurs.


           Un remaniement du système d’appellation français est nécessaire, nous l’avons vu.  Ces recommandations ne sont sont bien entendu perfectibles et n’ont pas vocation à être exhaustives.  J’en appelle donc  à vous, chers lecteurs, pour partager avec nous vos remarques et commentaires.

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