Tuesday 20 December 2011

Soufre-douleur

C'est marrant de voir comment notre perception du soufre (ou plutôt des sulfites) a évolué ces dernières années. Quand j'ai commencé à bosser dans le vin, c'est à dire il y a peu ou prou 10 ans, on était en pleine vogue du "zéro soufre".  Des vignerons (en particulier en Beaujolais) ce sont faits les apôtres d'une viticulture libérée du carcan de l'utilisation du soufre et ont allègrement embouteillé des millésimes entiers ou des cuvées sans ajout de soufre.  Il y avait d'ailleurs de nombreux relais à Paris ou ailleurs de cette pratique, cavistes, sommeliers et autres journalistes  Avec mon boss à l'époque, on les appelait les "SS" (pour sans-soufre, mais avec la connotation fascisante pour bien exprimer combien ces personnes étaient intransigeantes).  

Je me souviens aussi de nombreuses personnes me disant qu'elles étaient hyper-sensibles au soufre, voire allergiques, et que de boire des vins "soufrés" leur donnait des maux de crâne pas possibles, des palpitations voire pire.  Il y a effectivement des personnes allergiques au soufre, mais dans ce cas le soufre est urticant, mais pas source de tous ces autres maux supposés.  J'ai l'impression qu'ils avaient tendance à somatiser un peu.  En attendant, je n'ai jamais tenté l'expérience de leur servir des vins avec des niveaux de soufre raisonnables et de leur dire qu'ils étaient sans soufre, pour voir comment ils réagiraient.  Comme l'epxérience sur les réactions des gens à la cafféine: il y a beaucoup de gens qui affirment qu'ils ont besoin de cafféine pour être bien réveillées.  Pourtant, si on remplace leur café habituel par du décaf à leur insu, ils ont l'impression d'être aussi réveillés.  Le tout c'est d'y croire!

Le problème du sans-soufre, c'est que cela rend le vin ultra-vulnérable: un changement de température trop brutal et c'est la panique: les bouteilles tournent rapidement, repartent en fermentation, voire pire.  Donc, le vin sans soufre, c'est très bien chez le vigneron, mais dès que ça sort de sa cave, plus rien n'est sûr.  Je me souviens de Kermit Lynch, le grand importateur Californien, me racontant qu'au début des expériences de Marcel Lapierre et compères sur les vins zéro soufre, il se retrouvait avec entre un quart et un tiers des bouteilles foutues à l'arrivée.  Il a donc été le premier à insister pour que ses vignerons mettent au moins un tout petit peu de soufre dans leurs vins pour les stabiliser.  

Car c'est là tout l'intérêt du soufre: de stabiliser le vin, d'empêcher des développements de levures ou bactéries néfastes.  Si il n'y a pas de date de péremption sur une bouteille de vin, elle peut facilement tourner si elle n'est pas protégée au minimum.  Le tout est donc d'utiliser le soufre avec parcimonie.  On voit très rarement aujourd'hui des vins qui sont super-soufrés (je parle des vins de qualité) et je ne connais pas de nez assez sensible pour détecter des niveaux faibles de soufre dans un vin.  Ce n'est pas une question de goût donc.  Plutôt une quesiton de principe, une sorte de principe de précaution, qui voudrait que le soufre soit mauvais pour l'organisme et qu'il faille l'éviter, en tout cas à fortes doses.  Soit, mais en attendant, aucun label, qu'il soit bio, biodynamique ou autre, n'interdit l'utilisation du soufre et aucun vigneron raisonnable ne refusera catégoriquement d'utiliser le soufre.  Autant dire que le soufre est une nécessité. 

Cela étant, bien entendu, le tout est d'en utiliser au bon moment et le moins possible.  Pour cela, je suis assez content qu'on soit revenus de l'époque des SS et autres moudjahidines du zéro soufre.

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